lundi 1 mai 2017

Hic Sunt Leones

Bonjour à tous !

Voici donc ce fameux second tour de la Présidentielle, tellement annoncé, voulu et prévu par tous les organes de presse, écrits ou radio- et télédiffusés depuis plusieurs mois : à ma Gauche, le sémillant trentenaire Emmanuel Macron, éphémère banquier, conseiller de Hollande à l'Elysée et Ministre de l'Economie. A ma Droite, au fond, dans son coin, la carnassière Marine Le Pen, fille de, tante de et duettiste à ses heures perdues avec Florian Philippot, son Mazarin du pauvre. Que comprendre de tout cela ?

La France coupée en deux

Rien de nouveau dans tout cela, effectivement, la France est coupée en deux : grossièrement et schématiquement, l'Est a plutôt voté FN, l'Ouest a plutôt voté Macron. A l'Est, seul le Dauphiné historique a résisté à la vague mariniste en votant Macron - merci Gérard Collomb - tandis qu'à l'Ouest le Maine s'est montré sourcilleux en votant Fillon. Pourquoi cette césure aussi marquée ? Sans doute que la proximité des frontières à l'Est avec tout ce que cela peut engendrer comme désagrément (immigration, trafics, etc) a généré davantage de peur chez ces électeurs qu'à l'Ouest où l'éloignement géographique avec les frontières ne pose pas les mêmes problématiques. On pourra objecter avec raison que les régions frontalières apportent aussi des avantages, notamment en termes de retombées économiques, mais vous savez ce que l'on dit sur les trains qui arrivent à l'heure... Par ailleurs, la présence forte du FN dans le Nord de la France, en Haute-Normandie et dans d'autres régions qualifiées de péri-urbaines ou périphériques par le géographe Christophe Guilluy (je vous renvoie notamment à son ouvrage Fractures françaises, un "must have" de la littérature de la vraie Gauche) témoigne d'un sentiment fort de déclassement de la population de ces endroits du territoire. Ces petites villes sont laissées à l'abandon, les usines ferment, délocalisent, le chômage y est aussi présent que les services publics y sont absents. Voilà comment le FN grimpe sans forcer : ses électeurs sont d'abord des oubliés de la mondialisation. Et la phrase de Jacques Attali sur le licenciement des ouvriers de Whirlpool Amiens, qualifiant ce plan social d'anecdote, ne peut que renforcer ce sentiment d'abandon, de lutte des classes. Ce soutien affiché à Emmanuel Macron ne pouvait pas tracer un plus beau boulevard à Marine Le Pen. Enfin, d'après la journaliste Alba Ventura, chroniqueuse politique sur RTL, le candidat En Marche est arrivé en tête dans 9000 communes environ, alors que son adversaire frontiste est arrivée en première place dans 18000 communes. Des chiffres qui montrent, au vu des résultats en pourcentage, que les grandes villes mondialisées plus peuplées sont très favorables à Emmanuel Macron : après tout, Marine Le Pen n'a obtenu que 5% à Paris !

Analyse politique

Une analyse que je ferai en deux temps : d'abord pour balayer le programme des deux candidats, ensuite pour me concentrer sur le cas particulier du ralliement de M. Dupont-Aignan.
En ce qui concerne les programmes, je ne vais pas y aller par quatre chemins, aucun des deux n'a mes faveurs. Marine Le Pen n'arrive pas à se décider, en fonction du conseiller ayant ses faveurs du moment, si elle est ouvertement xénophobe, si elle décide de rouvrir une polémique inutile sur la Seconde Guerre Mondiale (malheureusement, la seule période de l'Histoire qui semble intéresser nos politiques...) ou bien si elle se souvient des classes populaires dont elle se réclame pour nous jouer le couplet sur la sortie de l'Euro. Y étant personnellement favorable, c'est un sujet sur lequel je l'ai attendue toute la campagne, notamment sur les conséquences d'une telle décision mais visiblement, elle n'a jamais préparé ses dossiers correctement car elle n'a jamais été capable d'apporter une réponse claire à ce propos. Et puis, j'ai beau avoir un vieux fond marxiste, mais rétablir la retraite à 60 ans et augmenter le SMIC... Bref, un programme qui n'a ni queue ni tête, mais présentée par une VRP de luxe qui a su taire les dissensions internes de son parti, notamment depuis qu'elle en a évincé son père.
Concernant le programme de M. Macron, je vais être encore plus lapidaire : ce n'est pas parce qu'on a une bonne tête de séducteur, des beaux costards et qu'on s'énerve tout seul en plein meeting que l'on a un programme crédible. Le seul fait de se concentrer sur l'attelage bancal de ses soutiens, de l'ancien communiste Robert Hue au très libéral Alain Madelin en passant par Cohn-Bendit (une belle brochette de has been de la politique, donc) devrait donner à réfléchir à tous ceux qui se pâment devant notre golden boy. Le fric qu'il a gagné à Rotschild et qu'il nous crache presque à la figure comme tous les nouveaux riches dénués d'éducation ne peut pas en faire une personne crédible pour les défavorisés. Un type qui affirme qu'il n'y a pas de culture française ne peut pas prétendre à s'asseoir dans le fauteuil où reposa jadis le Général De Gaulle. Un homme qui déclare que la colonisation fut un crime contre l'Humanité ne peut pas se faire passer pour une personne cultivée car il n'a jamais lu ou étudié les travaux de Raphaël Lemkin. Et son programme où il tente péniblement de donner à manger à tout le monde (exemple type : je fais un geste pour l'écologie après avoir lancé des dizaines de bus bien polluants sur les routes de France) ne peut pas davantage être pris au sérieux.
De toute façon, il ne faut pas s'y tromper : pour la première fois depuis 2002, le score cumulé des deux vainqueurs du premier tour est inférieur à 50%. Preuve que les Français ne sont pas dupes de la profonde médiocrité qui leur est proposée.
Enfin, et puisque l'on ergote beaucoup cette semaine sur les calculs politiciens et les tactiques de ralliement, je tiens à dénoncer publiquement l'attitude de M. Dupont-Aignan. Celui-ci se revendique depuis une dizaine d'années, et notamment le décès de Philippe Séguin, comme le gardien des valeurs du gaullisme. A ma grande joie. Mais en choisissant Vendredi dernier de s'allier avec Marine Le Pen, il a commis la pire des fautes. Il avait toujours refusé de s'allier avec elle en utilisant son slogan "Ni système, ni extrême", sous-entendant donc qu'elle était d'extrême-droite. Puis il vient nous annoncer tranquillement qu'elle n'est pas d'extrême-droite (!!!) pour justifier son soudain rattachement ? Allons donc ! Ignore-t-il que Mme Le Pen, qui n'a jamais renié l'héritage de son père puisque le FN s'appelle toujours ...le FN et qu'elle a conservé certains caciques du parti dans ses rangs, est la fille d'un homme qui s'est toujours opposé fermement au Général De Gaulle sur l'Algérie ? Ne sait-il point que parmi les fondateurs du FN il y avait des commanditaires de l'attentat du Petit-Clamart qui avait failli coûter la vie à De Gaulle ? Monsieur Dupont-Aignan est-il à ce point en manque d'un maroquin ministériel pour se montrer tellement ignorant de l'Histoire ? Une telle attitude est révoltante et méprisable !

Le courage de Mélenchon et du vote blanc

J'aimerais conclure en ayant un mot de sympathie envers Jean-Luc Mélenchon : il a eu la clairvoyance de ne pas appeler à voter pour Emmanuel Macron. En faisant cela, et alors qu'il s'était ridiculisé peu de temps auparavant en refusant de reconnaître sa défaite électorale, il a été digne en refusant de salir son programme et ses idées. En effet, voter Macron au 2e tour c'est, a minima tout du moins, adhérer à ses idées. Quand on est de Droite, comme l'est M Fillon, comment faire comprendre à son électorat que l'on vote subitement pour un candidat apparenté à Gauche ? Lorsque l'on défend, avec courage, l'honneur des ouvriers licenciés comme le fait M Ruffin, comment faire comprendre à ces derniers que l'on s'oppose à Emmanuel Macron en votant pour lui ? Sur un bulletin de vote, il n'y a pas de mention "attention, je vote pour toi, mais je t'ai à l'oeil" ou encore "je vote pour toi par dépit parce que le FN me dégoûte donc renvoie-moi l'ascenseur". Non, un vote pour Macron est un vote pour Macron. Et quand vous le critiquerez, un jour ou l'autre, un Jiminy Cricket viendra glisser à l'oreille de votre subconscient que vous ne devriez pas en faire de trop car vous avez quand même fini par voter pour lui.
Si vous n'adhérez à aucun candidat, votez blanc ! Il n'est pas encore reconnu en France ? et alors ! Cela vaut quand même la peine de tenter de faire grimper sa jauge le 7 Mai afin de bien faire comprendre au candidat vainqueur tout le désamour qu'il suscite. Sinon, si Macron gagne, ce qui a de fortes chances de se produire reconnaissons-le, il nous fera un quinquennat à la Chirac, lâchera un "Je vous ai compris" et nous laissera tomber ! 
Oui voter blanc, c'est faire un saut dans l'inconnu et, peut-être, favoriser Marine Le Pen. Mais parfois, il faut savoir faire preuve d'un courage simple, celui de rester fidèle à ses valeurs jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte. Autrefois, lorsque les cartographes réalisaient des cartes, ils portaient la mention Hic sunt leones sur les bords de celles-ci afin de rendre compte des territoires inconnus. "Ici sont les lions", autrement dit, s'y rendre se faisait à ses risques et périls. Et pourtant aujourd'hui, la Terre entière est cartographiée, signe qu'il y a eu des aventuriers assez courageux pour se jeter dans l'inconnu. Le 7 Mai, n'ayez pas peur de braver les lions !

mardi 28 juin 2016

Brexit : Kids, this is the story of how I left your mother...


Bonjour à tous !

Et voilà, ces fous d'Anglais l'ont fait. Personne n'y croyait. Ou plutôt : personne ne voulait y croire. Allons donc, faire acte de démocratie alors que ce cher M. Juncker, président de la Commission européenne (si quelqu'un peut expliquer exactement à quoi ce machin rempli de technocrates non élus sert, qu'il fasse signe !) n'a cessé d'expliquer qu'il ne pouvait y avoir de démocratie en dehors des traités européens...
Mais voilà, David Cameron, reconnaissons-lui cette immense qualité, a tenu parole : il avait promis un référendum s'il était réélu l'an passé. Il a été réélu, les Britanniques ont eu leur référendum. Et comme il fallait s'y attendre pour qui prête attention au caractère plutôt indépendant de nos amis d'outre-Manche, ils sont partis ! Quels enseignements en tirer ? Voyons cela ensemble.

Un traitement médiatique à sens unique, ou presque

Comme il fallait s'y attendre (bis), en France, la presse a été unanime pour critiquer ce référendum et nous annoncer les pires catastrophes en cas de Brexit. Pensez donc : les pauvres petits Français travaillant de l'autre côté de la Manche allaient être obligés de rentrer, la bourse allait s'effondrer, la Livre Sterling avec, le pouvoir d'achat des quelques Anglais égarés en Dordogne allait s'effondrer, l'Angleterre allait se retrouver totalement isolée, replongée à l'ère médiévale avec les rats, la peste, etc. Bref, la sérénade habituelle. Mais le véritable problème est ailleurs : qui a réellement tenté de comprendre pourquoi les Anglais voulaient partir ? Qui a essayé d'expliquer, objectivement, quel était le problème de fond entre les Anglais et l'UE depuis plus d'une quarantaine d'années ? Personne. Car ce n'est pas là ce qui intéressait les médias ou les politiques. Non, ce qui les intéressait c'était de faire peur. De nous faire peur. Afin que jamais, au grand jamais, nous ne soyons nous aussi tentés par l'aventure d'une sortie de l'UE. Finalement, il n'y a guère qu'en Angleterre qu'une partie de la presse a supporté le camp du Brexit, et tâché d'apporter un contrepoids, si léger fut-il,  à un concert de protestations.

Un Brexit sans lendemain ?

Paradoxalement, les anti-Brexit et europhiles les plus convaincus ont peut-être raison sur un point au bout du compte : force est en effet de constater que ni Boris Johnson, l'ancien maire de Londres, ni Nigel Farage, leader du parti souverainiste UKIP, ni Michael Gove, ministre de la Justice et chef de file des pro-Brexit au sein du gouvernement Cameron, n'ont un plan détaillé concernant la suite à donner à ce succès électoral : il semblerait qu'ils soient les premiers surpris de leur succès. A force d'entendre rabâcher qu'il n'est point de salut en dehors de l'UE, ils ont peut-être fini par y croire. Mais peut-être devraient-ils se presser s'ils ne veulent pas que les 27 autres membres de l'Union ne prennent les décisions à leur place. Car il va y avoir des décisions à prendre : que faire des quelques 7800 (!!!) lois et réglementations européennes appliquées sur l'archipel ? Comment assurer une stabilité monétaire pour la Livre ? Que faire pour convaincre Ecossais et Nord-Irlandais de ne pas vouloir quitter le navire ? Comment convaincre les investisseurs de rester ? Et enfin, last but not least, quel statut adopter vis-à-vis de l'UE désormais ? Une indépendance totale ou un statut spécial au regard de ce qui se passe déjà pour la Norvège et la Suisse ? Le chef du gouvernement qui sera nommé au plus tard le 2 Septembre à la place d'un Cameron démissionnaire aura beaucoup de questions auxquelles il lui faudra répondre rapidement !

Pourquoi les Britanniques ont choisi le Brexit ?

De son vivant, le Général De Gaulle, qui avait parfaitement compris les enjeux géo-politiques du Vieux Continent, avait freiné des quatre fers pour éviter de voir nos voisins insulaires entrer dans ce qui était encore le Marché Commun. Pompidou n'eut pas la même clairvoyance et laissa faire après qu'un référendum organisé outre-Manche donnât une large victoire au "oui" à l'adhésion à l'Europe institutionnelle. Ils étaient alors près de 70% à avoir voté en ce sens. Rapidement, les Britanniques déchantèrent quand ils comprirent que cette entreprise avait, à l'origine, un but social et coopératif. On créait un espace dans lequel on protégeait et sacralisait certains droits fondamentaux (protection des salariés, droit du travail, etc) tout en mettant en commun des ressources communes (charbon et acier) et un savoir-faire commun (Airbus et Ariane). Une fois le loup entré dans la bergerie, tout fut remis à plat et c'est alors que la CEE devint peu à peu l'UE, cette machine administrative froide et ultra-libérale, où les lobbies sont ceux qui gouvernent vraiment, où les directives et les lois les plus absurdes viennent régulièrement contredire les lois nationales, où le libre-échange est l'alpha et l'oméga, où la défense a été laissée à l'abandon aux Américains via l'OTAN et où la finance règne en maîtresse. Tout cela a été rendu possible grâce à l'acharnement et l'opiniâtreté de Margaret Thatcher, Premier Ministre conservateur au long cours dans les années 1980, suivie plus tard par l'Allemagne de Schröder et quelques pays riches du Nord : Bénélux, Scandinavie notamment.
S'il ne faut pas négliger la crise migratoire des derniers mois dans le choix des Anglais de nous quitter, il y a aussi deux autres facteurs qui ont amené à ce choix : le fait que certains pays en Europe, au Sud notamment (Italie, Espagne, France, Portugal, Grèce), freinaient de tout leur poids pour éviter une libéralisation à l'anglo-saxonne encore plus forte, au grand dam des libéraux de la City ; mais aussi et surtout car une large frange industrielle du Nord et de l'Ouest du Royaume suffoque tant leur pouvoir d'achat a baissé, tant Londres s'est éloignée de leurs grandes préoccupations, tant des zones entières du pays sont laissées véritablement à l'abandon. Comme en France avec ses zones périurbaines, comme dans le Sud de l'Italie, comme en Espagne hors de la Catalogne et de la Castille, comme en Wallonie en ce qui concerne la Belgique... L'Union Européenne est coupable : coupable d'avoir laissé le riche et divers tissu industriel de notre continent s'exporter vilement en Afrique du Nord puis en Asie du Sud-Est ; coupable d'avoir privilégié une immigration incontrôlée et incontrôlable prendre le pas tant dans les droits qu'en terme d'emploi sur les Européens natifs, laissant les seconds au chômage quand les premiers pouvaient se faire exploiter par des patrons sans vergogne, surtout dans le bâtiment et la restauration ; coupable enfin d'avoir totalement oublié le peuple en l'empêchant autant que possible d'exprimer démocratiquement son avis. Si bien que l'UE est finalement coupable d'une chose : d'avoir réveillé dans les classes populaires des pulsions xénophobes dont nous nous serions bien passés, envers des immigrés qu'on a accueillis à bras ouverts sans penser à les accueillir dignement, avec des emplois, des logements et des infrastructures en nombre suffisant, et envers les autres Européens avec lesquels une forte Histoire commune, une forte culture nous unit. L'UE est devenue une caricature de ce qu'elle souhaitait être. Il est temps qu'elle disparaisse dans les oubliettes de l'Histoire, et pour de bon ! D'autres empires bien trop grands ont déjà disparu de la sorte alors qu'on ne pensait pas cela possible : pensez à l'Empire romain ou, bien plus près de nous, à l'Union soviétique.

Et maintenant ?

Il y a plusieurs enseignements à tirer : d'abord, le référendum pour l'indépendance de l'Ecosse, ardemment souhaitée par le Premier ministre des Highlands, Nicola Sturgeon, n'est pas encore écrit. Il faut en effet l'accord express de Downing Street, et on doute fort que cela arrive dans les prochains mois, voire les prochaines années. De plus, les Ecossais se retrouveraient sans monnaie, privés de la Livre Sterling émise par la Banque Centrale....anglaise. On doute fort de la viabilité d'un pays sur le long terme sans monnaie. Ensuite, il est inutile, de la part des médias et des responsables politiques, d'essayer de faire peur aux électeurs sur ce qui se passerait si l'on décidait de mettre un coup de frein à la globalisation. Car ces chantres europhiles qui passent leur temps à critiquer les eurosceptiques de réactionnaires sont en réalité les nouveaux conservateurs : l'UE ne marche pas, mais surtout, continuons jusqu'à ce que ça marche...ou pas.
J'ajoute que je suis écoeuré, personnellement, par la réaction de certaines personnes après le Brexit. Dans un éditorial dans Le Figaro, l'essayiste ultra-libéral Gaspard Koenig espérait voir réussir l'initiative d'un référendum en faveur de l'indépendance de Londres, une cité-état dans laquelle il espérait ne trouver que des jeunes, des entrepreneurs, des étudiants ou des artistes. Tant pis pour les pauvres, les ouvriers, les vieux, les malades ou les handicapés. Quand la bêtise de l'élitisme révèle toute sa cruauté crasse. De même, de nombreux jeunes ont critiqué le choix des Anglais plus âgés d'avoir massivement voté en faveur du Brexit, parlant même de leur retirer le droit de vote. Où l'on voit bien dans quel air du temps malsain nous nous trouvons, celui du jeunisme à tout crin, où la jeunesse toute puissante sait tout mieux que tout le monde. Une telle arrogance et un tel ostracisme sont glaçants d'effroi.
Enfin, et c'est peut-être la principale information à retenir, la question de l'UE, et plus globalement du duel entre le souverainisme et la globalisation, ne doit pas être résumée à un simple paramètre économique. Les pays ne sont pas, ne peuvent pas être considérés comme, des entreprises privées. On parle de pays dont l'essence même est de veiller à l'intérêt du plus grand nombre tout en protégeant d'abord les plus fragiles, quoi qu'il en coûte. Or, pour que cela fonctionne, il faut que ce pays ait une âme, des racines, profondes, un but commun et une population qui tende pareillement vers cet idéal. Un gloubi-boulga de populations hétéroclites n'ayant rien à voir les unes avec les autres sur un territoire donné ne peut rien produire de propre. Car un jour ou l'autre, le miroir aux alouettes de la grandeur du marché économique s'effondre. Et là les communautarismes refont surface. Et cela se passe rarement sans violence.

Quid de l'Europe ?

Voilà la question qui devrait tous nous animer : plutôt que de nous entêter dans une UE qui ne marche pas, avec des pays bien trop différents pour que cela fonctionne différemment, et des passifs historiques qui ne s'oublieront pas de sitôt entre les différents membres (comment peut-on croire un instant que les Français et les Allemands puissent être des amis ? Des alliés éventuellement, guère plus), pourquoi ne pas se ré-orienter vers le marché commun initial ? Mettre en commun des ressources, un savoir-faire, pour les grandes réalisations scientifiques de demain. Le succès de Philae, la dernière mission spatiale européenne d'envergure, est là pour le démontrer : cela marche. Erasmus aussi est une belle idée. Tout comme faire de l'Europe un territoire où la peine de mort est bannie et la liberté d'expression sans condition garantie. Mais cela doit s'arrêter là. Tous ceux qui pensent et espèrent voir l'Europe devenir des USA bis avec un "super-gouvernement" consacré au droit social et à l'environnement se trompent lourdement et massivement : ce n'est pas dans l'intérêt des technocrates de Bruxelles. Pourquoi ? Parce que ça ne rapporterait tout simplement pas assez d'argent... Amis lecteurs, je vous laisse méditer là-dessus. A bientôt !

samedi 12 décembre 2015

Pourquoi il ne faut pas voter FN

Bonjour à tous !

La France s'apprête à vivre un drôle de tournant : en effet, Dimanche, elle élira de nouveaux conseillers régionaux pour de nouvelles régions. En plein mois de Décembre, à 12 jours de Noël et quelques semaines après les impôts locaux et le drame du 13 Novembre. Difficile de faire plus mauvais timing mais, comme toujours, Matignon et l'Elysée ont brillé par leur non-pertinence et le désir, peut-être, de vivre au moins une année, 2016 en l'occurrence, vierge de toute raclée électorale. On les comprend. Même si, évidemment, cette faute de programmation dans le calendrier électoral porte une responsabilité non négligeable dans ce qui s'est passé Dimanche dernier.

Au fond du trou : on creuse encore ou on pose la pelle ?

Dimanche dernier justement, revenons-y : environ 28% pour le FN, premier parti de France - si l'on excepte l'abstention -, et premier parti de Droite, surtout. Il n'y avait qu'à voir la mine déconfite de Sarkozy pour comprendre l'ampleur de la catastrophe. Car avec un bloc à 4 partis (LR, Modem, UDI, Radicaux de Droite), ne faire que 27% est lamentable. En face, finalement, le PS s'en tire mieux en faisant 23% pratiquement à lui seul. Quant à l'extrême gauche, à moins de 10% en score cumulé, elle a sans doute signé son arrêt de mort électoral. 
Il est donc temps de se poser, réellement, les bonnes questions : comment peut-on espérer en effet contrer le FN en allant systématiquement dans son sens ? L'UMPS fustigée par le parti lepéniste, c'est fait : il n'y a plus de listes PS en PACA ou dans le Nord et Solférino a détruit médiatiquement le malheureux Masseret, troisième dans le Grand Est. Allez convaincre les gens après qu'il n'y a pas de connivence entre les deux grands partis historiques. Comment convaincre également que voter à Gauche est porteur d'espoir quand Emmanuel Macron détricote consciencieusement les acquis sociaux, en libéralisant l'économie tant et plus si bien qu'on se dirige vers une génération d'entrepreneurs, certes, mais d'entrepreneurs précaires, isolés, individuels, à la merci de la société qui les emploie et les manipule ? Et enfin, comment rassurer sur sa capacité à rassembler un pays fragile en faisant voter la si controversée Loi Taubira sur le mariage dit pour tous ? Mais il sera toujours temps de faire le bilan des erreurs de chacun, y compris à Droite où l'incapacité à présenter un parti rassemblé derrière un programme original, iconoclaste et rassembleur est chronique. Fillon, Sarkozy et Juppé ont tous été désavoués par le corps électoral, qu'ils s'en aillent et laissent la place à d'autres !

Le vote FN, un miroir aux alouettes

Cependant, il est un parti qui, tels les vautours, se nourrit de l'atmosphère putride d'un pays chancelant. Car oui, le FN prospère au point de devancer tous les partis historiques, soit en valeur relative (aujourd'hui 30% des voix, demain combien ?), soit en valeur absolue comme aux Départementales, soit les deux. Fort heureusement, notre Constitution, n'en déplaise à certains, étant bien faite, l'isolement de ce parti ne lui permet pas, sauf exceptions, de passer le cap du 2e tour en vainqueur. C'est, semble-t-il, le schéma vers lequel on se dirige Dimanche, Mmes Le Pen et M Philippot étant donnés perdants, MM Bay et Aliot étant en position d'outsiders quant à eux. 
Mais il ne s'agira pas pour autant de se réjouir de ces victoires à la Pyrrhus. Car le FN connaît une progression constante, menaçante, seulement ternie par la déroute électorale de 2007 qui faillit lui coûter sa survie. Il faudra faire une révolution culturelle et intellectuelle dans les partis historiques, telle que l'avait théorisé en son temps l'intellectuel marxiste Antonio Gramsci.
En attendant qu'un tel miracle puisse se produire, il faut lutter contre le FN, non pas avec des hashtags, des manifestations aussi vides de sens que sans lendemain, ou des exhortations pathétiques de stars parties chercher la bonne fortune à l'étranger, n'ayant aucune conscience des difficultés vécues par le peuple.
Alors pourquoi je n'irai pas voter FN et pourquoi je déconseille de le faire ? D'abord parce que si parti arrivait au pouvoir, dans le pire des cas, au niveau national, il ne faudrait pas longtemps pour voir fleurir des groupuscules qui se croiraient autorisés à parcourir les rues pour bastonner des étrangers, des immigrés ou des Français d'origine étrangère. Et après quoi ? Les clochards, les handicapés... Un scénario à la Orange Mécanique que vous jugez irréaliste ? Peut-être. Mais on ne peut nier que ça n'arrivera pas car ces gens-là se sentiront investis d'une impunité nouvelle. Oh, bien sûr, l'appareil du FN dénoncera ces attaques mais ne luttera pas réellement contre.
Ensuite, il faut aussi souligner qu'en Europe, chaque fois qu'un parti d'extrême-droite a participé au pouvoir, ou a dirigé carrément un gouvernement, il a sciemment mis en place une politique ultra-libérale, aux antipodes de ce que promet le duo Le Pen-Philppot. D'ailleurs, il suffit de lire le programme économique du parti pour comprendre que, hormis la sortie bienvenue de l'Euro, il ne tient pas la route : qui peut croire que la retraite à 60 ans ou l'augmentation des bas salaires de 200 euros ait une réelle base tangible, une quelconque validité à l'épreuve des faits sur le temps long ?
Qui plus est, on peut se rendre compte que ce parti, comme d'autres, n'a pas le sens des réalités : supprimer les aides au Planning familial, est-ce vraiment pertinent ? Il suffit de s'intéresser au budget de l'association pour comprendre que l'avortement est une entrée minoritaire et que l'essentiel de son action est concentrée sur l'information et la contraception. Il n'y a pas à dire, Marion Maréchal-Le Pen manque clairement de jugeote.
Par ailleurs, je voudrais souligner qu'un parti qui se dit anti-système mais qui profite justement du système pour s'en nourrir ne peut avoir aucune crédibilité. Cracher sur la main qui nous nourrit ne peut que révéler la face cachée d'un parti qui tente tant bien que mal de cacher son jeu. Enfin, rappelons que c'est aussi un parti qui héberge encore en son sein des Vichystes ou des nostalgiques de Pétain, des adversaires viscéraux du Général De Gaulle, des affidés du GUD ou autres groupuscules identitaires violents ou encore des anciens de l'OAS qui n'ont jamais cessé de pleurer sur l'Algérie française.

Alors j'en conjure mes concitoyens : oui, l'offre politique est insuffisante, médiocre même. Mais ne votez pas pour autant pour le FN. Votez blanc s'il le faut, ou nul, mais allez voter, et laissez de côté ce parti plus dangereux qu'il n'y paraît...

samedi 21 novembre 2015

Et maintenant on fait quoi ?

Bonjour à tous !

J'ai longtemps, très longtemps même, hésité avant d'écrire cette chronique. Mais je maintiens que le débat a toute sa place dans une démocratie, aujourd'hui plus qu'hier. Et puis chaque citoyen peut, et doit, dans la mesure de ses capacités, apporter son écot à la discussion. Beaucoup de choses ont été dites depuis une semaine. On fait le tri ?

Les professionnels en première ligne

La première chose, frappante, c'est de constater à quel point la parole des professionnels de la lutte contre le terrorisme a été entendue, soulignée et mise en avant. Devant un discours politique qui tourne en boucle quand il n'est pas discrédité, la parole de François Molins, Marc Trévidic ou celle d'Alain Bauer apparurent comme des ballons d'oxygène salutaires. Alors évidemment, ce qu'ils disent n'est pas très réjouissant sur l'état de la lutte anti-terroriste en France mais au moins, cela permet de poser les bases d'une vraie méthode de travail à partir de laquelle les politiques doivent travailler. Les citoyens ne comprendraient plus, après le carnage de Vendredi dernier, que l'on ne confie pas à ces personnes les clés du camion. Toutes nos tentatives pour contrer des attaques terroristes sur notre sol ont échoué avec deux attaques particulièrement marquantes, l'une dans sa symbolique (Charlie et l'Hyper Cacher), l'autre dans son ampleur (Stade de France, Bataclan, quartier République) et son nombre de victimes. Les politiques, qui ont scandaleusement coupé dans les dépenses de sécurité intérieure et extérieure depuis 2007 au moins, doivent avoir l'humilité de se mettre en retrait et de laisser la place aux vrais spécialistes;
En outre, je pense que les citoyens de ce pays ont pu, une fois de plus, admirer - et le mot n'est pas trop fort - le sang-froid et le courage des policiers, militaires, forces spéciales, pompiers et autres médecins dans leur comportement face à cette crise inédite : l'intervention au Bataclan fut aussi rapide que décisive, les services d'urgence des hôpitaux de Paris ont fait des merveilles avec peu de moyens (1) et la traque des terroristes est menée avec célérité. Il est temps d'envisager l'emploi et la formation de nombre de ses professionnels de haut vol et de ne plus tant rogner sur leurs salaires. Il faudra repenser alors la question budgétaire.

Une dérive sécuritaire liberticide de mauvais aloi

Ca y est, ils sont de retour : François Hollande dans le costume du Général Patton et Manuel Valls dans celui de Clémenceau. Ca gesticule dans tous les sens pour brasser du vent, comme trop souvent depuis maintenant 3 ans. Au-delà de la dignité irréprochable avec laquelle le Président a rendu hommages aux victimes et aux secouristes, il me paraît vain et illusoire de prolonger l'état d'urgence et de continuer de maintenir une surveillance serrée des communications. De toute façon, les informations ne manquent pas, c'est la façon dont on les traite qui fait défaut. Donc espérer récolter encore plus d'informations en espionnant les citoyens de ce pays ne servira à rien. Surtout si on continue à considérer le contrôle aux frontières comme une chimère réactionnaire. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de fermer les frontières, nous ne sommes pas en Corée du Nord, mais au moins de les contrôler en donnant aux douaniers des moyens de filtrer davantage les passages entrants et sortants de notre pays. Ce qui ferait après moins de travail pour nos services de renseignements. De toute façon, on panique, mais il est rare que ce type d'attentat se répète dans un laps de temps très rapproché, les terroristes, privilégiant l'effet de surprise, attendent en effet généralement que la tension soit retombée pour que le choc d'un nouvel attentat soit plus violent encore. Alors finissons-en avec les discours martiaux et passons aux actes : déchéance de nationalité automatique pour les doubles-nationaux coupables d'actes de terrorisme, renforcement de la prévention et de l'information auprès des mineurs sur les dangers de la propagande sur Internet, contrôle aux frontières et rationalisation des fiches S : en faire peut-être moins mais être plus efficace dans la surveillance de ceux qui sont fichés de la sorte.

Un nouvel espoir ?

Enfin le vrai sourire est là. C'est timide, mais enfin ils prennent plus de place dans les médias. Eux, ce sont les intellectuels laïcs musulmans, qui en plus se revendiquent comme tels. Ils sont trois à avoir parlé d'or ces derniers jours : Boualem Sansal, grand prix du roman de l'Académie Française, Abdennour Bidar, agrégé de philosophie et normalien, et Malek Chebel, anthropologue des religions formé à l'IEP de Paris. Eux prônent une vraie réforme de l'Islam et appellent à une vraie prise de conscience des musulmans de France qu'il est temps de faire un Islam de France comme les Juifs ont, en 1807, construit un judaïsme de France. Et ils se montrent infiniment plus fins et subtils que les moutons qui continuent de bêler "pas d'amalgame". Comme s'il y avait des gens assez idiots pour penser que l'ensemble des musulmans de ce pays portait la responsabilité de ce qui s'est passé la semaine dernière ! Le débat n'est pas là. Pour en revenir à ces intellectuels vraiment intéressants et pertinents, il serait long et fastidieux de reprendre et décrire leurs points de vue mais leurs interventions sont facilement accessibles sur la Toile. En plus du CFCM qui a appelé à consacrer la Grande Prière du Vendredi 20 aux victimes des attentats, c'est tout un large pan de la communauté musulmane qui s'exprime clairement, fièrement contre l'Etat Islamique et ses affidés. Il est temps que la République leur donne la parole, les écoute et ouvre la voie d'un débat public avec eux. Bien sûr, ce ne sera pas simple, chacun devant faire un pas vers l'autre, mais nous vivons une époque compliquée alors autant en prendre son parti. Et tant pis pour les sceptiques. Après tout, j'avais déjà parlé brièvement ici du génie français : c'est le moment ou jamais pour le sortir de sa boîte !

Conclusion 

Je rappellerai simplement ceci : "Dieu est une hypothèse, sauf pour Zidane". Voilà qui devrait clore le débat auprès des décérébrés qui préfèrent se faire sauter plutôt que de manger une 4 fromages en buvant une bière devant un match de foot. Pour une fois qu'on battait l'Allemagne en plus...

(1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/11/15/01016-20151115ARTFIG00162-attentats-de-paris-les-chirurgiens-preoccupes-par-le-manque-de-materiel.php

samedi 12 septembre 2015

Réfugiés : la raison par devers l'émotion

Bonjour à tous !

Point de solennité ni de larme à l'oeil facile dans ce billet pour traiter de la crise des réfugiés. C'est un problème grave, mais sa gravité nécessite justement tout le sang-froid pour le traiter le plus objectivement et le plus complètement possible. Je précise ici que je ne mettrai aucune photo susceptible de susciter un quelconque sentiment reptilien. Seuls comptent les faits. Commençons par le commencement.

Les causes d'une vague de migrants sans précédent depuis la Seconde Guerre Mondiale

Les chiffres donnent le tournis. On parle de plusieurs dizaines de milliers de personnes chassées de chez elles par la force des circonstances, jetées sur la route sans espoir. Il y a plusieurs raisons à cela. La désintégration de l'Irak suite à l'intervention américaine ayant chassé Saddam Hussein du pouvoir à partir de 2003, les printemps arabes ayant conduit à une instabilité politique dans de nombreux pays (Egypte et Tunisie notamment) sans compter la tentative de renversement de Bachar Al-Assad en Syrie et le putsch mené contre le colonel Kadhafi avec l'appui marqué de la France ; autant de raisons qui ont conduit le Moyen-Orient, déjà fort instable, vers l'implosion. Toutes ces violences ont évidemment effrayé les civils qui ont craint pour leur vie, et celle de leur proche. En parallèle, l'Etat Islamique a émergé du plus profond de l'ancienne Perse pour s'étendre à grande vitesse sur des territoires laissés à l'abandon par des Occidentaux qui n'en avaient que faire une fois leur petite vengeance accomplie. Cet état d'un nouveau genre - qui ne bénéficie d'aucune reconnaissance internationale pour le moment rappelons-le - a instauré la Charia sous sa forme la plus dure, terrifiant Chrétiens, Juifs et autres minorités religieuses de la région, dont les Yézidis. Ce furent d'ailleurs les premiers à fuir - et à demander asile à l'Europe, qui ne s'est alors pas particulièrement démenée pour les accueillir. Mais aujourd'hui, c'est toute une région du globe qui se vide de sa population, horrifiée par la barbarie d'un groupe de fous de Dieu dont on ne sait ni quand ni comment les arrêter.

Accueillir les réfugiés : un devoir moral, mais seulement moral

Le problème c'est que l'Europe fait face, depuis l'instauration des accords de Schengen autorisant la libre circulation des biens, des capitaux et des hommes en 1986, à de régulières et fréquentes vagues migratoires, originaires de pays qui ne sont pas en guerre, et qui ne sont pas accueillies comme elles le devraient. Pourquoi ? Parce que c'était essentiellement une immigration de travail sans que l'on se soit préoccupé auparavant de savoir si l'on avait besoin de cette main d'oeuvre, et que rien n'avait été fait non plus pour les assimiler, comme ce fut le cas des précédentes vagues de migration économique à partir du XIXe siècle (Belges, Portugais, Polonais, et Italiens, je ne mentionne pas ici les Espagnols, réfugiés politiques à l'arrivée de Franco). Les pouvoirs publics ont démissionné, ne se souciant pas de la façon dont ces gens pourraient se sentir les bienvenus puisque personne ne leur expliquait comment fonctionne leur pays d'accueil. Cette immigration a simplement servi à contenter les économistes qui passent leur temps à pleurnicher sur l'appauvrissement démographique de notre vieille Europe et les chefs d'entreprise, ravis d'avoir une main d'oeuvre corvéable à merci et payable au salaire minimum - quand il existait, ce qui n'est pas le cas de tous les pays d'Europe.
Ceci étant dit, on comprend mieux pourquoi les partis nationalistes et souverainistes progressent toujours davantage, de la Finlande à l'Italie, en passant par la Grande-Bretagne, la Hongrie ou la France. Evidemment, dans ces conditions, convaincre les gens qu'il serait souhaitable d'accueillir des gens qui veulent juste ne plus prendre d'obus sur le coin du museau est relativement plus compliqué.
Rendons dpnc hommage aux personnes qui, bon an mal an, accueillent quelques-uns de ces naufragés du Destin, mais sans porter rancune à ceux qui le refusent. Imposer des quotas est sans aucun doute peine perdue, les réfugiés seraient alors accueillis à contre-coeur et seraient constamment victimes d'ostracisme. Mieux vaut les encourager à aller vers les pays d'Europe les plus accueillants, à commencer par l'Allemagne.

Le double-jeu de Mme Merkel

L'Allemagne, justement, parlons-en. 800.000 personnes, c'est le chiffre annoncé par la chancellerie berlinoise quant au nombre de réfugiés que la fédération allemande compte accueillir. Rappelons que nos voisins d'outre-Rhin ont une démographie totalement déprimée, puisque tout est fait pour décourager la natalité et la maternité. Pas de crèches, pas d'allocations familiales, un certain dédain pour les femmes qui tombent enceinte au cours de leur carrière professionnelle... L'Allemagne connaît le destin démographique du Japon. Et plutôt que d'encourager les Allemands à faire des petits, on préfère accueillir en masse des immigrés, migrants économiques ou réfugiés de guerre. C'est un choix, et nul n'est en droit de le contester, l'Allemagne étant souveraine sur son sol. Mais elle doit aussi respecter la souveraineté de chacun de ses partenaires de l'UE, qui ont une démographie plus dynamique et une économie moins florissante, et qui ne peuvent donc pas se permettre d'accueillir autant de réfugiés, quand bien même cela est ramené en proportion de leur population. 
Il s'agit en réalité tout autant d'une vengeance contre des Allemands qui ont toujours été belliqueux envers l'Europe centrale et orientale que d'un souvenir encore vivace de l'éveil brutal des nationalismes en Europe au début du XXe siècle, et qui prit ses racines précisément dans cette région. Ces nationalismes ont conduit à l'éclatement de l'Empire austro-hongrois, à l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand (déclencheur de la Première Guerre Mondiale), à la fin du Saint-Empire et à des pogroms contre les Juifs ashkénazes d'Europe de l'Est. L'Allemagne et les nationalismes revendicatifs de minorités allogènes comme autant de plaies toujours béantes dans les souvenirs de ces jeunes pays indépendants que sont la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Le bras de fer existe et il serait dans l'intérêt de tous que Mme Merkel ne forçât personne à céder une fois de plus à sa volonté.

La "solidarité musulmane" mise à mal

Il convient également de s'interroger sur le rôle trouble joué par les pays du Golfe Persique. Ce sont des pays extrêmement riches, très peu peuplés, et qui ont besoin en plus de main d'oeuvre étrangère pour rendre possible la réalisation de leurs délires architecturaux, à commencer par la construction des stades pour la Coupe du Monde 2022. De plus, on lit régulièrement, notamment quand on débat du sempiternel conflit israélo-palestinien, que les musulmans doivent se serrer les coudes, que c'est un devoir moral entre coreligionnaires. L'accueil des réfugiés de guerre était donc l'occasion rêvée de démontrer la grandeur d'âme de ces humanistes dont la foi transcende les frontières sauf que...sauf qu'il ne s'est rien passé. Un peu de secours humanitaire par-ci, une molle intervention diplomatique par là et puis rien, le néant. Pourtant, plutôt que les réfugiés risquent leur vie en s'embarquant sur un malheureux radeau de sauvetage sur la Méditerranée pour joindre les côtes européennes, ce serait beaucoup plus simple qu'ils aillent à pieds à quelques kilomètres de là dans les villes accueillantes de Dubaï, Doha ou Riyad. Seulement voilà...si ces réfugiés fuient l'Etat islamique, c'est sans doute parce qu'ils sont plus chiites que sunnites, ou en tout cas pas wahhabites comme le sont l'Arabie Saoudite ou le Qatar. Et c'est là que les masques tombent et que les dissensions se font jour. En plus, dans le même temps, il y a une rébellion chiite à mater au Yémen voisin : voilà qui intéresse beaucoup plus ceux que l'on n'hésite pourtant plus à considérer comme des partenaires économiques de grande valeur, n'est-ce pas Mme Hidalgo ?

En France, on oublie toute politique au profit de l'émotion

La photo du petit Aylan a circulé ad nauseam partout où il était possible de la diffuser. Cet enfant n'était pas déjà assez puni de perdre la vie si jeune, il fallait encore qu'il serve de caution morale à tous les médias et politiciens sans scrupules prêts à tout pour culpabiliser des chômeurs qui peinent à payer leur loyer qu'ils devraient avoir honte de n'avoir ne serait-ce qu'un doute quant au bien-fondé de l'accueil sans réserve des réfugiés. Oui, bien sûr que c'est un devoir moral de les héberger au moins le temps du conflit chez eux ; mais c'est aussi normal de ne pas en faire une priorité quand on doit se débrouiller pour nourrir les gosses. Les Français sont généreux par nature. Tous les ans, le Téléthon bat des records malgré la crise ; il y eut une mobilisation sans précédent pour aider les victimes du Tsunami qui ravagea l'Asie de l'Est en 2004 ; il y a aussi eu plus loin dans le temps le riz pour les Somaliens. Et puis les dons qui ne cessent d'affluer vers les ONG et les associations caritatives. Et je ne parle même pas des Restos du Coeur. Et tout ça, j'insiste, en période de crise économique. Alors exploiter un pauvre gosse mort à cause de la faute à pas de chance - et rien d'autre ! car personne ne l'a jeté hors du bateau - pour faire passer les Français pour de sales égoïstes sans coeur, désolé mais là je ne suis plus. Les donneurs de leçon devraient avoir honte. D'autant qu'ils ne sont pas à une contradiction près.
Comme je le rappelais plus haut, personne n'a bougé le petit doigt pour les Chrétiens d'Orient, en allant même jusqu'à railler des prêtres qui voulaient organiser un concert en leur faveur. En outre, tous ceux qui s'émeuvent devant le sort de ces réfugiés sont parfaitement silencieux quand il s'agit de se mobiliser pour sortir les SDF de la rue. Ou pour venir en aide aux Nord-Coréens et à tant d'autres miséreux de par le monde qui n'ont pas leur photo en Une. On choisit ses damnés comme on va faire ses courses au supermarché. On prend la cause la plus consensuelle, celle qui, de préférence, rabaissera la France au rang d'éternel coupable (ce que ces Torquemada insinuent à chaque fois que c'est possible depuis la Guerre d'Algérie). Tout cela relève d'une profonde mesquinerie. Ce n'est pas en parlant fort et en faisant appel aux sentiments primaires des citoyens de ce pays que l'on fait montre du plus de générosité, de don de soi, "d'humanisme" (quel mot aujourd'hui galvaudé !). La modestie, la vergogne, la pudeur et le simple fait d'agir sont les garants d'une vraie générosité désintéressée et efficace.

Et après l'accueil des réfugiés, que fait-on ?

Jean-Luc Mélenchon, étrangement silencieux sur la question depuis le début de la couverture médiatique de cette crise, a enfin pris la parole aujourd'hui. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il a parlé d'or : il estime qu'accueillir ces pauvres gens est un cycle sans fin tant que l'on ne s'en prend pas aux racines du mal. Et qu'il faut discuter avec Bachar Al-Assad, n'en déplaise aux délicats. Que cela veut-il dire ? Concernant Al-Assad, la réponse est simple : tant que son pouvoir sur la Syrie était assuré, le pays était stable. Le président syrien provient d'une minorité alaouite qui verrouille le pays afin d'empêcher les débordements des fanatiques islamiques qui hantent son pays, et que l'on peut voir à l'oeuvre depuis le début de la rébellion. 
Quant aux racines du mal, il s'agit de procéder avec méthode et célérité en mettant chacun devant ses responsabilités : à l'Europe le soutien humanitaire sur place, avec des médecins, du matériel médical et des  vivres. Elle peut aussi accueillir et organiser un soutien logistique à une résistance clairement identifiable à l'Etat islamique, comme le firent les Anglais en leur temps avec De Gaulle. Cela permettrait d'éviter de s'engager militairement dans une zone qui a toujours été le cimetière des soldats occidentaux, depuis les Russes en Afghanistan jusqu'aux Américains en Irak. Et dans un second temps, l'ONU doit pousser les pays musulmans membres de l'Organisation à former une coalition pour anéantir l'Etat islamique. Ces pays ont les moyens économiques et militaires d'une telle campagne. Et cela permettrait d'éviter que les Occidentaux ne soient encore considérés comme les responsables du chaos. 
Cette crise humaine touche tout le monde, il faut donc un vrai travail d'équipe. A chacun de se retrousser les manches et d'assumer sa tâche. Sinon, il sera temps de tirer les conclusions diplomatiques et politiques qui s'imposent. Mais l'Europe ne peut pas être éternellement le sauveur et la source de toutes les critiques de la part des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée...

dimanche 30 août 2015

Chine : krach ou pas krach ?

Salle de cotations à Huabei, province de Anhui, Chine.
Crédits photo : Xie Zenghyi/AP/SIPA/20minutes.fr

Bonjour à tous !

C'est le serpent de mer du moment. Les économistes tremblent, les patrons transpirent, les banques chancellent : le géant chinois connaît une très mauvaise passe boursière. Est-ce conjoncturel ou plus profond ? Doit-on avoir peur ? 

Les origines d'un mal profond

Depuis une vingtaine d'années, et l'éclatement d'une bulle économique au Japon qui continue encore de secouer le Pays du Soleil Levant aujourd'hui, la Chine a décidé d'assumer sans fard le leadership économique du plus vaste continent du globe. S'il ne s'agit pas d'énumérer par le menu les raisons de cet éveil, retenons simplement que les dirigeants chinois, Deng Xiaoping en tête, avaient, dès les années 80 et la fragilité avérée du géant soviétique, décidé d'évoluer vers un modèle de "capitalisme d'état" : on mettait en oeuvre les outils du développement économique mais on conservait la haute main sur le reste, à savoir un parti unique, l'interdiction de manifester ou de contester le pouvoir, un contrôle social strict etc.
Cet éveil chinois fut, à l'horizon de la crise mondiale de 2007-08, un réel motif d'espoir pour des Occidentaux encore secoués par l'arbre qu'ils venaient de prendre sur la tête. Alors que la croissance ne semblait plus être qu'un lointain souvenir, l'Empire du Milieu apparaissait comme le pays de cocagne rêvé. 
Toutefois, et c'est ainsi que fonctionne de plus en plus l'économie globalisée, la machine n'a pas tardé à s'emballer : des investissements massifs ont alors eu lieu, des délocalisations à foison dans le lointain Orient avec des symboles forts, comme l'usine Foxconn fabriquant à la chaîne le nouveau symbole absolu du capitalisme triomphant : l'iPhone.
Il est malheureux de constater, hélas, que les leçons ne sont jamais retenues d'une crise à l'autre : investir massivement sans garanties de production et donc de retours sur investissement ne peut donner lieu qu'à des bulles spéculatives qui finissent immanquablement par éclater. Prenons l'exemple de Google, valorisée à plus de 300 milliards US$, alors que c'est une entreprise qui ne produit rien. Elle n'a pas d'usine, pas de magasin, bref, elle ne conçoit aucun bien de consommation. Elle crée de l'immatériel, de l'intangible : un moteur de recherche performant (aux méthodes discutables du reste) et un système d'exploitation qui n'est pas disponible sous forme de logiciel disponible à la vente ; on ne peut l'obtenir qu'en achetant un appareil équipé avec Android. 
Mais revenons à nos moutons. La Chine, donc, fut l'objet d'investissements plantureux que le pays n'a pas pu digérer, la faute à un pays immense qui n'avait pas pris le temps de s'adapter à ce boom spectaculaire. Les investisseurs devaient donc faire face à de nombreux problèmes qui ont limité la portée de l'effet de mode chinois : infrastructures insuffisantes, personnels peu qualifiés, stocks difficiles à écouler sur place du fait d'un pouvoir d'achat insuffisant, sans compter l'obligation des joint-ventures : la Chine laisse l'entreprise X s'implanter à condition d'opérer un partage des technologies avec une entreprise du cru. De l'espionnage industriel forcé qui permet de voir débouler peu de temps après sur le marché des conceptions chinoises de qualité moindre.
Tous ces problèmes n'ont pas empêché le développement de l'économie du pays d'extrême-Orient, ce qui a permis à la monnaie locale, le Yuan, de s'apprécier sur le marché des changes. Une appréciation trop forte au vue de la réalité et des vicissitudes asiatiques.

Une correction des changes nécessaire

Cela faisait pourtant plusieurs mois que les signaux d'alerte étaient au rouge : la Chine est toujours coupée en deux, entre un Est sur-développé et un Ouest sous-développé, qui envoie ses paysans sur les routes dans un exode rural à l'issue incertaine, les chiffres de la production ne sont pas bons, la consommation des ménages ne suit pas à cause d'un pouvoir d'achat que le gouvernement ne fait rien pour améliorer et, pour couronner le tout, la Chine commet ses propres délocalisations, trouvant des pays aux salaires encore moins élevés que les siens autour d'elle. Ou comment scier la branche sur laquelle on est assis !
Alors voilà, dans cette deuxième quinzaine d'Août, à la fin d'un été particulièrement moite et pénible pour les organismes, le marché boursier a dévissé. Violemment. Dans un premier temps, il convient de rester lucide : ce genre de correction arrive souvent à cette époque de l'année, les actionnaires profitant des derniers jours avant la rentrée pour tenter de remettre à plat les dérives d'un marché de plus en plus incontrôlable. Et ils ont fini, eux aussi, par regarder les chiffres en s'apercevant d'une chose simple : le Yuan était sur-évalué par rapport à la qualité de la production chinoise, et il n'y avait donc plus aucune raison de continuer à suivre, même de loin, un taux de change avec le Dollar imposé par les Américains. Le Yuan a alors baissé brutalement, entraînant évidemment une crise de confiance en l'économie chinoise et une vente massive d'actifs boursiers par les investisseurs du coin.

Un phénomène parti pour durer

Il serait peut-être enfin temps, mais cela demeure un voeu pieux, que le libéralisme arrête de s'emballer pour des chimères et tienne davantage compte des réalités : si une entreprise vaut X euros, il est inutile de la valoriser dix fois plus. D'une part, cela oblige l'entreprise en question à faire une chasse aux coûts et à la rentabilité qui l'empêche de se concentrer sur sa production, et d'autre part lorsque l'on finit par s'apercevoir qu'elle ne vaut pas autant, notamment en évaluant et en quantifiant son stock et sa production, sa valeur s'effondre, souvient bien plus bas encore que sa valeur réelle, entraînant licenciements, dépôts de bilan, fuite des investisseurs, etc. 
2007 aurait dû être l'ultime avertissement pour un capitalisme à bout de souffle qui ne sait plus quoi inventer pour nous vendre un modèle unique et formaté que beaucoup de citoyens à travers le monde, pour des raisons très diverses, ne veulent plus : pillages des ressources, dommages environnementaux, saccage de droits fondamentaux (travail des enfants, salaires minables, conditions de travail indécentes), autant d'actes inadmissibles allant à l'encontre de ce que les peuples sont en droit d'attendre de la vie et des personnes qui les emploient.
Le phénomène de ce mois d'Août, qui devrait rester circonscrit dans le temps et l'espace, risque donc de se répéter maintes et maintes fois. Aux citoyens d'être vigilants et aux dirigeants de prendre des mesures afin de redonner à l'économie réelle les pleins pouvoirs.

vendredi 10 juillet 2015

Grèce : que faire ?

Bonjour à tous !

Ravi de revenir parmi vous, le temps d'un post exceptionnel consacré à la Grèce. Cet article sera peut-être un peu plus long qu'à l'accoutumée, mais il importe de bien comprendre de quoi il retourne pour se faire une idée la plus précise possible.

I - La Grèce, un pays déchiré depuis 2 siècles

En vérité, quiconque se penche sur l'histoire de ce petit pays d'Europe méridionale s'aperçoit qu'il a connu une histoire mouvementée, trouble : de la présence ottomane à la dictature des colonels en passant par la Seconde Guerre Mondiale, le pays hellène a payé sa livre de chair et de sang. Des périodes sombres qui n'ont réveillé le sentiment national qu'à partir des années 1820, quand l'émancipation vis-à-vis de l'encombrant voisin turc devint un désir impérieux. Mais ce pays, si petit soit-il, n'a jamais développé de fibre étatique pour autant : le peuple grec est fier de son histoire, de l'héritage qu'il a laissé au monde durant l'Antiquité, mais chacun vit dans son coin, méfiant envers un pouvoir central dont on considérait qu'il aurait tôt fait de se coucher devant un envahisseur ou un dictateur. Résultat, il n'y a jamais eu d'organisation de recouvrement de l'impôt, jamais de mise en avant de l'Etat, de son rôle et surtout de ce qu'il pouvait apporter au citoyen. Avec le temps, la situation ne s'est pas arrangée et la Grèce était alors, au matin de son entrée dans l'Union Européenne, un pays où le clientélisme était roi, le paiement en liquide, une règle et le sens du devoir passait bien après. 
Toutefois, toutes ces scories, visibles dans les chiffres et bilans par n'importe quel titulaire d'un BTS en comptabilité est miraculeusement passé à la trappe lorsque l'on a souhaité un élargissement de ce qui s'appelait encore la CEE. Mario Draghi, qui travaillait alors pour Goldman Sachs (tiens donc) et chargé à l'époque de certifier les comptes du pays pour la préparation au SME (Système Monétaire Européen) n'a alors rien trouvé de mieux que de falsifier les résultats au nom, déjà, du dogme européen. L'Europe à tout prix vaut bien quelques sacrifices, et ce genre de personnage, fédéraliste et libéral jusqu'au bout des ongles, n'allait pas s'embarrasser avec sa conscience ou la morale. Et tant pis si, en réalité, la Grèce n'était clairement pas capable d'assurer une monnaie aussi forte que l'Euro. Après moi, le déluge. Et voilà le résultat.

II - La dette grecque, un puits sans fond

Evidemment, avec la catastrophe économique de 2008 et l'organisation des coûteux JO d'Athènes de 2004, il n'y avait plus d'arbre pour cacher la forêt : la Grèce, sans outil industriel d'envergure ni moyens de productions développés, ne pouvait tenir longtemps à ce rythme. Le pays devait en effet importer la quasi-totalité de ce qu'il consommait, incapable d'avoir développé une économie de subsistance : on importait alors de la nourriture, du matériel industriel, militaire, médical, bref tout ce dont a besoin une puissance occidentale pour conserver un certain standing et faire partie du cercle privilégié des pays où circule la Monnaie Unique. Mais n'ayant que quelques produits agricoles de niche à proposer à l'exportation et l'industrie touristique pour faire entrer les devises, le déficit ne pouvait que se creuser. Règle de base de l'économie : quand on dépense plus qu'on ne gagne, rien ne va plus. Sans compter un système fiscal bancal, pour les raisons expliquées plus haut, et des castes privilégiées dispensées de l'impôt (les puissants armateurs dont la famille Onassis et l'omnipotente Eglise orthodoxe sont dispensés de toute taxe), histoire de corser la difficulté.
Tout allait à peu près bien tant que l'économie mondiale continuait sa fuite en avant due aux bienfaits artificiels de la globalisation. Evidemment, quand les touristes ont commencé à moins venir après la crise et que les carnets de commande des armateurs, premiers à faire tourner la machine de la consommation du pays, se sont vidés, il n'y avait plus rien pour faire illusion.
Alors on a fait appel aux copains pour se sortir de la panade. Le problème, c'est que l'Euro restait une monnaie trop élevée pour les faibles exportations hellènes. Le pays était pris à la gorge. Surtout quand on a appris par la suite que ce sont les banques privées étrangères qui se sont d'abord gavées des prêts allemands, français ou finlandais tandis que le citoyen lambda ne voyait pas l'ombre d'un centime d'euro d'aide tomber dans sa poche.
Avec un chômage en hausse, des services publics qui se dégradent du fait des "réformes" libérales exigées par les créanciers, la dette ne pouvait que gonfler. On a administré au pays un remède pire que le mal. Une telle austérité ne pouvait pas lui permettre de redresser la barre, et donc de redevenir solvable auprès de ses prêteurs. Cependant il y a fort à parier que ces derniers ne souhaitaient pas voir la Grèce s'en sortir, mais plutôt faire banqueroute afin de se partager les restes pour quelques bouchées de pain, en bons vautours qu'ils sont. Ne nous y trompons pas : l'Union Européenne est d'abord la réunion de cupides technocrates, caricatures de ce qu'ils critiquent en public pour mieux les vénérer tout bas, les Américains. 

III - Une insolvabilité inéluctable :

On en vient donc à la "découverte" du jour faite par tous nos amis endimanchés de Bruxelles et Washington, M Juncker, Mmes Merkel et Lagarde en tête : on aurait prêté de l'argent à un pays qui n'est pas en mesure de rembourser ! Saperlotte ! Diantre ! Palsambleu ! L'effronté grec ne veut pas rembourser et que fait-il pour marquer son ras-le-bol face à des réformes pourtant vues comme des progrès inéluctables, chères à notre vieil ami, Jacques Attali ? Il vote à Gauche ! Impensable. Pas la Gauche-Droite centro-libérale pudiquement appelée "sociale démocrate", non, cette "vieille" Gauche qui a comme une odeur rance, attendez... mais oui, on dirait du...du populisme ??!!! (là il faut imaginer Janet Leigh en train de crier sous la douche dans Psychose pour bien réaliser l'ampleur du drame). Mais enfin, ils sont fous ces Grecs : alors qu'on avait fini par s'entendre avec des gouvernements de Gauche-et-de-Droite-qui-pensent-comme-nous, voilà qu'ils osent, les gougnafiers, mettre aux commandes un type qui dit qu'il va mettre un sérieux coup de frein à l'austérité économique et aux réformes, béni soit leur nom. Hors de question de se laisser faire, on allait réunioner et montrer à ces sales gosses ce qu'il en coûte de remettre en cause l'autorité toute-puissante des supra-nationaux non élus (ils n'ont pas besoin de l'être puisqu'ils ont raison, ils savent, ils sont le Bien). 
Hélas, ou plutôt Tsipras, Syriza ne s'en est pas laissé compter. Hors de question de bousculer le programme pour lequel il a été élu : considérant les demandes de la troïka comme exagérément élevées, il a donc demandé à son peuple de voter par référendum si ces mesures étaient acceptables ou non. Et les Grecs ont tranché, à 61%, en faveur de Tsipras et contre ces plans d'austérité iniques.

IV - Sus à la démocratie

Evidemment, ce fut la douche froide pour les capitales européennes, qui avaient tellement perdu l'habitude de voir un peuple souverain s'exprimer sur une question le concernant directement : c'est donc ça la démocratie ? Eux qui croyaient que cela consistait à organiser des élections de temps en temps avec des gens pensant tous la même chose pour finalement faire l'opposé de ce pour quoi ils avaient été élus, forcément, le choc est rude. Et ce fut alors un brouhaha d'insultes, d'invectives, venant des politiques comme des médias pour dénoncer l'irresponsabilité grecque, la Maîtresse Domina du FMI expliquant même qu'il fallait désormais que les discussions se déroulassent "entre adultes" et que le petit Alexis et son ami turbulent, le dénommé Yanis Varoufakis, allassent jouer ailleurs. 
Je vais quitter deux minutes les habits du sarcasme pour redevenir extrêmement sérieux : il est criminel, impensable, honteux, qu'un continent comme le nôtre, berceau des humanités, de l'art, de la Renaissance et de la philosophie critiquent à ce point l'expression souveraine d'un peuple avec qui l'on joue en cherchant à en faire un exemple alors que son PIB ne représente que 2% du PIB de l'UE. Il n'y a pas de mots assez durs pour qualifier l'irresponsabilité, la malhonnêteté intellectuelle avec lesquelles ont opéré des figures aussi diverses qu'Angela Merkel, Pierre Moscovici, Jeroen Dijsselbloem, Jean-Claude Juncker, Jean Quatremer, Pierre-Antoine Delhommais ou Christophe Barbier. Ces gens n'ont eu d'autres arguments que ceux de la peur pour déstabiliser et fausser l'opinion des Français et des Européens sur la question. On a beau jeu de dénoncer le "populisme" de certains partis et de certaines figures européennes de la politique, mais quand on vend de la peur aux gens pour les empêcher de réfléchir sereinement et posément à un problème, ce n'est plus du populisme mais du fascisme. Et c'est bien pire !

V - Maintenant on fait quoi ?

Malheureusement, Tsipras n'ira pas au bout de sa logique : trop effrayé à l'idée de devoir plonger dans l'inconnu, il ne renoncera pas à l'Euro, sauf contraint et forcé. Il y a fort à parier que la logique des créanciers finissent par l'emporter après une longue guerre d'usure. On fera un peu de cosmétique pour maquiller la défaite de Syriza, en effaçant 25 à 50% de la dette par exemple, mais il y aura de nouveaux prêts, au moins de la part du FMI. Car il est impensable pour les technocrates que la Grèce sorte de l'Euro, ils ne veulent pas d'un effet domino qui entraînerait immanquablement d'autres pays avec lui : le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la France ou l'Irlande. Alors on prêtera, le coeur lourd mais on prêtera et en contrepartie on mettra le pays en coupe réglée pour se payer sur la bête. 
Idéalement, il faudrait que le bon sens l'emporte. Les très nombreux économistes qui disent que l'Euro a vécu et que c'est une religion malsaine, un totem inique, doivent être entendus. La Grèce, a minima, doit sortir de l'Euro, et au mieux, il faut mettre un terme à l'UEM (Union Economique et Monétaire, nouveau nom du SME). Chaque pays d'Europe doit retrouver sa souveraineté monétaire et budgétaire, afin de construire, éventuellement - ce n'est pas une obligation - une Europe différente qui serait alors basée sur la mise en commun de ressources scientifiques en vue de grands projets, comme Ariane Espace, EADS, Philae, etc. 
Quant à la Grèce, en plus de lui laisser retrouver la Drachme, il faudrait effacer tout ou partie de sa dette, en grande partie illégitime comme expliqué ultérieurement. De toute façon, les marchés ont anticipé ce fameux "Grexit", il n'y a donc pas de soubresaut particulier à craindre. Et la dévaluation annoncée de la Drachme serait en réalité maîtrisée avec une annulation partielle de la dette et un retour de l'exportation et du tourisme, avantagés par une devise attractive. Pour peu que le pays fasse enfin sa révolution fiscale afin de faire payer tout le monde et qu'il exploite son extraordinaire potentiel maritime, alors ce pays pourrait devenir une bonne surprise dans la décennie à venir. Mais là je verse dans l'utopie...

A bientôt. Peut-être...

Pour aller plus loin:

- à propos du rôle trouble joué par M Draghi dans cette histoire :
http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2011/10/31/la-grece-dossier-noir-de-l-ancien-vrp-du-hors-bilan-chez-goldman-sachs_1596412_1581613.html

- à propos de l'illégitimité de la dette grecque :
http://l-arene-nue.blogspot.fr/2015/06/dette-grecque-preparez-vos-oreilles-les.html

- à propos des économistes favorables à une sortie de l'Euro (attention, c'est un poil technique)
http://leseconoclastes.fr/2015/07/bfm-du-06-juillet-2015-oxi/

- enfin, à propos de l'idiotie congénitale régnant au sein de la presse française :
http://videos.lexpress.fr/actualite/politique/video-comment-sauver-l-europe-la-une-de-l-express-l-edito-de-christophe-barbier_1697170.html